Nouvelles de Flandre
Petit tour du monde de la francophonie (1/2)

Ce 100ème numéro des Nouvelles de Flandre, c'est une occasion bien agréable pour retrouver les acteurs de la francophonie qui nous ont accueillis lors de nos reportages aux quatre coins du monde. Nous avons, avec chacun d'entre eux, évoqué 3 thèmes: - l'évolution de la place du français dans leur pays; - les projets qui les ont le plus enthousiasmés ainsi que - leurs attentes par rapport à la Francophonie institutionnelle. En route vers la France, le Liban, le Québec, la Pologne, le Vietnam et le Cameroun, pour une première série de témoignages.

Arnaud Galy - France - Agora francophone

En France, se pose toujours la question de savoir si les jeunes maîtrisent encore suffisamment la langue et si, dans les populations multiculturelles, le français ne subit pas trop de bouleversements. Mais est-ce un problème? La langue est en perpétuelle évolution. Le problème, c'est le rapport à la francophonie, que personne ne connaît, si ce n'est le petit microcosme des personnes engagées. Il y a une non-acceptation de faire partie d'un monde plus global qui parle le français.

Pour ce qui est de la langue française dans le monde, certains s'attachent à manier des chiffres et des statistiques, mais quand on additionne le nombre d'habitants des pays francophones, on n'additionne pas des locuteurs francophones. Il faut rester prudent dans les chiffres. Surtout mettons le paquet sur l'éducation. Le développement de la langue française ne passera que par la culture et l'éducation. Soignons l'armée de profs de français qui enseignent aux quatre coins du monde. Prenons en compte les gens fantastiques qui font vivre le vaste réseau des alliances françaises, même dans des pays qui ne sont pas dans la sphère francophone, comme la Chine, les États-Unis et la Russie.

L'association Agora Francophone Internationale, au travers de son site, envisage la langue française comme une passerelle entre différents pays, qu'ils soient francophones ou non. L'objectif est de mettre en évidence le regard des autres à travers une revue de presse qui relaie des points de vue différents. A côté de cela, il y a aussi les contenus propres offerts par le réseau des contributeurs Agora, issus des quatre coins de la planète et de toutes les catégories d'âge. Une très belle diversité et liberté d'expression, qui met la francophonie et la langue française au cœur des débats de société. La plate-forme Internet a permis une explosion du lectorat, ce qui rend compte d'une véritable attente. Un autre projet, c'est 10 SUR 10, présent dans plus de 80 pays. Son objectif est l'enseignement du français via le théâtre et la promotion de la dramaturgie contemporaine francophone.

La ligne politique de la Francophonie institutionnelle, ces dernières années, a été difficile à lire. On se sent quelque peu perdu dans un élargissement à tout crin, avec des pays difficiles à mettre dans la case francophone, comme la Corée du Sud ou le Qatar. La francophonie devrait se recentrer sur ses bases: l'éducation et la culture. Elle n'a pas vocation à être une petite ONU. Ces derniers temps, on parle beaucoup de sujets plus politiques, comme le droit des femmes par exemple, pour essayer de coller aux grands débats actuels. Or, si l'éducation et la culture étaient la priorité des priorités, ces domaines seraient automatiquement mis en œuvre. Les enseignants et les artistes doivent être au cœur de la francophonie. Il semble que la francophonie avec f minuscule soit le plus souvent méconnue, déconsidérée, dévalorisée. Or, c'est elle qui fait vivre l'organisation. La Francophonie s'implique peu, alors que la francophonie est toujours sur le terrain.

Pascale Asmar - Liban - Linguiste

Le Liban est en proie à une tragique crise politique, économique et sanitaire. L'explosion d'août dernier a causé d'immenses dégâts matériels, notamment dans les écoles et universités situées dans le centre de Beyrouth. A cause de la dévaluation de la livre libanaise, il manque cruellement de moyens financiers pour la reconstruction. L'enseignement est profondément déstabilisé. Nombre de jeunes sont en décrochage scolaire, car ils ne disposent pas du matériel nécessaire pour suivre les cours en ligne quand ces derniers peuvent être organisés, ce qui est loin d'être le cas. Faute d'argent, les parents n'arrivent plus à payer les droits d'inscription de leurs enfants dans les établissements scolaires privés francophones qui, dès lors, sont aussi en grande difficulté.

En dépit des crises, l'Agence Universitaire de la Francophonie et l'Institut français encouragent les activités culturelles. Certaines ont pu être organisées en ligne, comme le prix littéraire francophone des étudiants "Le Choix Goncourt de l'Orient". L'AUF va déployer des ressources à la hauteur d'un million d'euros pour appuyer les manifestations scientifiques, les bourses d'études dans les pays francophones ou encore ouvrir un tout nouveau campus numérique pour les étudiants francophones.

La Francophonie devrait être plus solidaire du Liban, car c'est le phare de la francophonie au Moyen-Orient. Le pays doit être soutenu, pas seulement en terme financier, mais également au niveau institutionnel pour montrer sa solidarité envers un de ses membres. Durant ces 2 années de crise, mis à part un laconique communiqué de presse, le Liban semble absent des considérations de la Francophonie.

Jean-Paul Perreault - Québec - Impératif français

Le français au Canada ainsi qu'au Québec est en difficulté à cause de la suprématie de l'anglais, considéré comme une langue dominante et universelle. Montréal compte à présent moins de 50% d'habitants francophones. Or, la ville représente plus des 2/3 de la population du Québec. Les statistiques de l'assimilation linguistique montrent que le français est en baisse même au sein de la famille. Le recul est tel que les autorités canadiennes ont publié un livre blanc pour aménager un encadrement pour la langue française. Cela va ralentir mais pas enrayer le processus.

Impératif français a dénoncé le fait que dans les instances de l'ONU, on n'engage que des personnes dont l'anglais est la langue maternelle. C'est tout à fait discriminant. La balle a été lancée dans le camp des politiques et institutionnels, qui ont réussi à faire modifier les exigences onusiennes en matière de compétences linguistiques. Les postes sont dès lors accessibles aux personnes qui ont "_une bonne connaissance_" de l'anglais. Un changement significatif bien relayé par les médias au Québec.

Il est minuit moins cinq! Dans le monde, ce n'est pas la francophonie qui est menacée mais la diversité linguistique. La faute à la mondialisation et à l'emprise des géants du numérique qui entrainent un affaiblissement des langues nationales. L'OIF ne fait pas son travail. On n'en entend jamais parler en dehors du 20 mars, Journée de la Francophonie. C'est une organisation sans dent qui n'a pas le pouvoir d'intervenir internationalement pour afficher sa position face à l'appauvrissement linguistique et culturel, dû à l'usage mondial d'une langue unique.

Jolanta Sujecka-Zajac - Pologne - Université de Varsovie

Au niveau de l'enseignement secondaire, le français conserve sa place assez loin derrière l'anglais et l'allemand, mais il est de plus en plus concurrencé par l'espagnol. Une récente réforme de l'enseignement a entrainé une réduction du nombre de langues étrangères étudiées dans le secondaire, ce qui a nui au français. Selon une étude nationale sur les motivations pour le choix de la langue étrangère, il résulte que le français n'est pas considéré comme une langue utile. Le français, c'est la France, et la France n'attire plus les jeunes. A l'université, au département de français, comme les effectifs ont diminué, on a dû créer une filière pour les étudiants qui n'ont encore jamais appris le français.

Afin d'attirer les jeunes vers la faculté de philologie romane, des séminaires ont été organisés pour les élèves de fin primaire et secondaire. Jolanta a proposé un atelier "France élégance" sur les stéréotypes français (parfum, champagne, baguette, ...); un autre sur le génie français: les inventeurs et autres personnalités qui ont contribué au développement technologique ainsi qu'un atelier consacré aux stations de métro: leur nom et les œuvres exposées. Un beau succès avec, à chaque fois, plus de 150 jeunes participants très curieux et enthousiastes.

La francophonie doit être plus visible. Les initiatives ne sont pas connues. Même les étudiants du département de français connaissent peu la francophonie en dehors de la France. Il est pourtant important de se rendre compte de la pluralité des cultures francophones et de la variété linguistique. Il faut proposer une ouverture et ne pas prêcher qu'aux convaincus. Le français, ce n'est pas une langue difficile réservée uniquement à des personnes lettrées.

Hien Nguyen Thu - Vietnam - Université de Hanoi

Fin des années 1990, le Vietnam recevait un financement pour une période de dix ans, pour la création de classes bilingues en français. La gestion de ces classes a été ensuite reprise par le ministère de l'enseignement vietnamien. Les montants alloués ont alors diminué, ce qui a entrainé une baisse du nombre d'élèves inscrits. On est passé de 80 000 au début des années 2000 à seulement 10.000 en 2020. Dans les universités, la filière francophone conserve un nombre stable d'étudiants, mais c'est parce qu'on y accepte, dorénavant, ceux qui n'ont jamais appris le français.

En plus de la licence en philologie et traduction, l'université a mis en place une nouvelle formation professionnalisante, dans le secteur du tourisme. Les cours sont construits en partenariat avec les professionnels du terrain, pour offrir une formation élargie, qui donnera accès à des métiers reconnus par l'État. La 1ère promotion va sortir cette année. Malheureusement, le tourisme est à l'arrêt depuis la crise sanitaire. Il reste donc un grand point d'interrogation quant à la possibilité, pour ces étudiants, de trouver un emploi.

Il faut développer la francophonie économique. Pour que les étudiants soient motivés à apprendre le français en plus de l'anglais, il est absolument indispensable qu'ils aient des opportunités au niveau professionnel. Auparavant, il était possible de trouver un emploi dans des entreprises françaises, mais actuellement ces grandes sociétés n'exigent plus la connaissance du français. L'anglais suffit. Il est regrettable aussi que les pays francophones envoient de moins en moins d'enseignants ou lecteurs dans les universités vietnamiennes. Dommage, car les jeunes apprécient beaucoup être en contact avec des natifs francophones.

Marie-Thérèse Ambassa - Cameroun - École Normale Supérieure

Le français est la langue officielle dans 8 régions du Cameroun alors que l'anglais est parlé dans les 2 autres régions. Dans les régions francophones, tout le monde parle le français, mais seules les personnes scolarisées sont capables de l'écrire. Pour les puristes, le niveau de maitrise de la langue française est en baisse, car le parler est parsemé d'expressions appartenant aux langues locales ou d'expressions françaises dont le sens a évolué. Par exemple, si un Camerounais dit à son ami: "Tu n'as pas encore souffert, tu vas lire l'heure", il veut lui signifier que sa souffrance va encore durer longtemps. Pour d'autres, ces variations sont une réappropriation de la langue mais qui doit être limitée pour éviter la cacophonie.

En partenariat avec un collègue suisse, Marie-Thérèse projette d'éditer un recueil de poèmes. Chaque mois, en alternance, l'un d'eux propose un thème pour écrire un poème. L'ensemble de leurs textes sera ensuite publié. Pour ses étudiants, futurs professeurs de français langue étrangère, Marie-Thérèse a organisé des ateliers de dramatisation de séquences romanesques. Les jeunes ont travaillé sur des textes du célèbre écrivain camerounais Mongo Beti. Une excellente façon pour permettre aux plus timides de s'exprimer en français et de développer leurs talents oratoires.

Il faudrait plus d'équité dans la coopération, la recherche et le développement. Par exemple, pour participer à des événements internationaux, les spécialistes occidentaux sont défrayés pour leur déplacement, mais les chercheurs africains, eux, n'ont pas les moyens financiers pour participer. "La Francophonie est une grosse machine à rassembler les francophones, mais dont il faut, sans cesse, huiler les différentes pièces."


Propos recueillis par Anne-Françoise COUNET


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