Nouvelles de Flandre
En souvenir de Charles Bertin

La foule des personnes présentes aux funérailles de Charles Bertin le vendredi 25 octobre témoignait de la place qu'a occupée Charles Bertin dans la vie intellectuelle de notre pays, de la sympathie et de l'admiration que suscitait sa personne. Mon témoignage ne peut être que partiel.

J'ai découvert Charles Bertin vers mes vingt ans, en 1945-1946. Il était séduisant : une chevelure généreuse, une diction parfaite au service d'une éloquence insinuante. Il présentait alors certaines des Matinées classiques au théâtre du Parc grâce auxquelles mes lectures de jeunesse trouvaient leur vraie vie sur la scène. Je ne l'ai fréquenté vraiment que bien des années plus tard, à l'Académie.

Ce qui m'a frappé tout particulièrement, c'est la force et la fidélité des attachements de Charles Bertin, non seulement dans son cœur et dans ses paroles, mais de façon concrète : que d'efforts il a déployés, avec succès, pour que les œuvres de Charles Plisnier, son oncle, et de Marcel Thiry soient rééditées dans la meilleure forme possible. Ces deux-là partageaient ses idées sur l'avenir de la Belgique. Mais son amitié pour Marie Gevers et Paul Willems montre que la frontière linguistique n'était pas pour lui un rideau de fer. Et La petite dame en son jardin de Bruges, son grand succès, rappelle le temps où Ostende et Bruges étaient plus présentes dans les rêveries de bien des Wallons (de Marcel Thiry aussi) que des villes de Wallonie.

Des critiques patentés décriront mieux et plus complètement les divers aspects d'une œuvre extrêmement variée. Outre cette petite dame, délicieuse et saugrenue, pour laquelle Bertin a recouru à toutes les richesses de sa palette, j'ai un souvenir particulier pour Le voyage d'hiver : l'habileté de sa composition m'a frappé sans doute, mais plus encore l'étonnante présence des paysages méridionaux, de ces petites églises romanes des Pyrénées, pour lesquels il éprouvait avec une chaleur communicative, et pas seulement dans le roman, un sentiment proche du ravissement.

Charles Bertin, né à Mons en 1919, se disait écrivain français de Picardie. Les hasards de l'existence l'ont amené à prendre domicile, in tempore non suspecto, à Rhode-Saint-Genèse, une de ces communes où bien des francophones se sont installés non par un désir de conquête mais parce qu'ils se croyaient en Belgique et dans la banlieue verte de Bruxelles.

Ils ont constaté par la suite qu'une frontière administrative a été érigée et que les francophones, parfois majoritaires, étaient traités avec une simple tolérance, laquelle s'est transformée assez vite en agressivité et en brimades mesquines, voire en brutalités.

Les livres en français, voilà un objet particulièrement détestable pour les uns, mais particulièrement chers pour les autres, pour un Charles Bertin évidemment.

Il ne s'est pas contenté de fonder l'Association culturelle de Rhode-Saint-Genèse (en tendant aux néerlandophones une main qui fut refusée) et une bibliothèque qui porte son nom ; il s'est dépensé, avec une ardeur acharnée dont j'ai été le témoin, pour défendre ces institutions contre les tentatives d'étouffement.

 

André GOOSSE

Secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie royale de langue et de littérature françaises


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