Nouvelles de Flandre
Pourquoi l'Algérie ne fait-elle pas partie de l'espace francophone?

Conclusions du colloque organisé par l'AMFM (Association multiculturelle des francophones dans le monde) et ASSIA-BEL (Association de soutien aux Scientifiques et intellectuels algériens et leurs amis du Bénélux), le 14 septembre 2002 à Bruxelles.

Les organisateurs comme les intervenants du colloque ne se doutaient pas qu'ils seraient si vite rattrapés par l'actualité. En effet, quelques semaines plus tard, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, acceptait l'invitation de participer au sommet de la Francophonie à Beyrouth.

L'indépendance d'esprit et la conviction des intervenants témoignent de leur lucidité devant le problème posé par l'arabisation durant ces 40 dernières années. Attitude revancharde de ceux qui ont pris le pouvoir d'une façon antidémocratique dit l'un, l'erreur est d'avoir livré l'Ecole à l'Intégrisme, dit l'autre. Tous, à divers titres, ont dénoncé la confusion créée par l'assimilation de la langue de Rousseau au colonialisme. C.G.

Le français et l'arabe sont de vieilles connaissances.

De ce côté-ci de la Méditerranée

Avec plus de 450 mots l'arabe occupe une place privilégiée dans la langue française : mots qui sont tous très usités dans des domaines aussi variés que les mathématiques, l'astronomie, la botanique ou le commerce. Au hasard: chiffre, algèbre, zénith - sirop, nénuphar, mousseline - madrague, mousson - nacre, café, guitare - matelas ou douane sont hérités du temps d'Haroun al Rachid.

La traduction des Mille et une Nuits au 18e a mis en vogue les mots comme babouche, sultan, talisman ou chérif.

Une 3e série d'emprunts : avec la colonisation l'argot a adopté des mots comme toubib, nouba, clebs, tchatch, chouia, kif kif, flous et bien d'autres termes de la langue dialectale nord africaine.

Et aujourd'hui, avec l'immigration de millions de maghrébins, l'arabe (et n'oublions pas le berbère) sont devenus familiers non seulement dans les pays francophones mais aussi dans toute l'Europe.

De l'autre côté de la Méditerranée

L'arabisation voulue par le gouvernement algérien au lendemain de l'indépendance, pour des raisons identitaires, n'a pas eu les effets escomptés.

Pourquoi? La langue arabe parlée - on sait que la langue écrite est sacrée et reste inchangée - a longtemps été langue d'un empire, comme le latin le fut avant lui, puis a éclaté en de nombreuses langues dialectales dans les pays conquis par l'Islam. De ce fait, au fil des siècles, il est devenu difficile à un Algérien de communiquer avec un Libanais ou un Egyptien, sinon en apprenant une autre langue, l'arabe classique, qui n'est pas sa langue maternelle. Les choses se compliquent encore pour un écolier algérien dont la langue identitaire est le berbère, depuis peu, reconnue comme langue nationale.

Autre paradoxe

Si l'enseignement primaire et secondaire se donne exclusivement en arabe, en Algérie il faut connaître le français pour suivre certains cours à l'université, notamment en science. Quant à la presse d'Alger, pas moins de 17 quotidiens sont publiés en français aujourd'hui, soit cinq fois plus qu'à l'époque coloniale. On peut se demander qui lit cette presse ?

Un récent sondage révèle que parmi les pays francophones d'Afrique le plus grand nombre de locuteurs en français se trouve en Algérie. Près de 40% d'Algériens le parlent couramment et l'utilisent comme langue véhiculaire, 30 autres % le parlent occasionnellement. Et, ceci expliquant cela, c'est aussi le pays qui compte le plus de paraboles de télévision! C'est le "Club Dorothée" ou aujourd'hui "Star Académie" qui transmet le français aux enfants algériens.

On voit bien que la politique d'arabisation n'a pu effacer une empreinte qui remonte à plus de 170 ans, quand, à l'époque, pour un coup d'éventail (exactement de chasse-mouches), les navires du roi de France voguent à l'assaut d'Alger. Et, c'est Antoine Schneider, ministre français qui désigne en 1839 d'un nom unique - Algérie/Al Djezaïr - cette partie du nord de l'Afrique.

Et si cette empreinte avait un sens… après tant d'années d'un destin mêlé! Celui que la langue française appartient aux algériens autant qu'aux Français? C'est en français qu'est proclamé, devant la presse du monde entier, en 1958, l'acte de naissance du GPRA (premier gouvernement algérien) ; cela, il ne faut pas l'oublier.

Depuis l'indépendance, ce sont les pays francophones que les algériens choisissent en priorité comme terre d'immigration, et c'est à Paris que les proscrits se réfugient. C'est en français que les enfants algériens de France, et d'autres pays francophones, sont scolarisés, qu'ils communiquent, et qu'ils forgent leur nouvelle identité. Beaucoup d'émigrés, auxquels on ne donne jamais la parole, la considèrent comme une chance, une richesse à ajouter à leur autre culture. Et, c'est en français encore que les classes moyennes comme les élites algériennes s'expriment et éduquent leurs enfants aujourd'hui… Autre signe d'une détente linguistique officielle celle-là : les contrats passés avec des entreprises françaises intervenant en Algérie sont désormais rédigés en français, alors qu'ils l'étaient exclusivement en arabe dans les années 80.

Saint Augustin - qui parlait latin - n'aurait pas renié cette appartenance. Et, que partagent les Albert Camus et Kateb Yacine, les Guy Bedos et Smain, les Edith Piaf et Isabelle Adjani, les Alain Mimoun et Zinédine Zidane, à part leur terre natale, si ce n'est une même langue et une même culture pour nous faire réfléchir, rire, pleurer ou nous émouvoir par leur talent?

Resserrer les liens culturels

La connivence engendrée par la langue française est partagée par 52 pays appartenant à la francophonie. Elle doit être entretenue et développée. Cette langue véhicule des valeurs de raison, de démocratie et de modernité. Il est par conséquent essentiel, et urgent, dans la mondialisation, de resserrer les liens culturels que l'Histoire a tissés entre nos peuples: le danger, si ça n'est pas le cas, est de s'y dissoudre.

L'affaire semble déjà en bonne voie sous l'impulsion de nos gouvernements. Le lycée français rouvre ses portes à Alger, des consulats et des centres culturels français vont rouvrir à Annaba et Oran. En France, l'année 2003 est déclarée "Djazaïr, une année de l'Algérie en France". On peut donc espérer que très vite l'Algérie rejoindra l'organisation des pays qui ont le français en partage. C'est sa place naturelle.

Les Algériens, comme tous les pays francophones, ne peuvent qu'y gagner.

 

Claire GOYER

Secrétaire générale de l'OILF - Observatoire International de la Langue Française (Bruxelles), Administrateur de DLF - Défense de la Langue Française (Paris)


Copyright © 1998-2003 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: 210-0433429-85, Courriel: apff@dmnet.be
Site: http://www.dmnet.be/ndf