Nouvelles de Flandre
La francophonie, un espace privilégié de développement

Dans un récent article, intitulé "Le démon de la mode" (Figaro littéraire, 30 août 2001), Jean-Marie Rouart, de l'Académie française, écrivait, à propos de la langue française: "Cette dernière est bien malade. Minée de l'intérieur, abandonnée par ceux qui devraient la défendre de tous les assauts de la démagogie, elle est cernée par l'omniprésence et l'omnipotence de l'anglais. Le Français, disait Napoléon, est capable de tous les courages, mais il n'a qu'un défaut, il est possédé par le démon de la mode et cette mode de l'anglais nous submerge, tandis que la Francophonie se réduit comme une peau de chagrin, sans qu'on s'en préoccupe beaucoup dans les hautes sphères du pouvoir".

Nous ne sommes plus au 18ème siècle, quand l'Europe parlait français. Le français était à la mode; la mode aujourd'hui est à l'anglais. Mais la francophonie ne se réduit pas..., pas encore!, et cela même si l'anglais est devenu la langue privilégiée des échanges entre nations, institutions, organismes de tous genres...

La modeste AUPELF (Association des universités partiellement ou entièrement de langue française) est née d'un élan commun de ces universités, à Montréal, en 1961. Récemment, elle est devenue l'Agence universitaire de la Francophonie: l'AUF, qui compte 400 membres et regroupe 350 départements d'études françaises, émargeant à des établissements universitaires du monde entier.

Un nouvel élan fut donné, lorsqu'en 1989, au 2ème Sommet de la Francophonie, à Dakar, le statut d'opérateur direct de l'Organisation internationale lui a été conféré, dans les domaines de l'enseignement et de la recherche. Ce statut lui a été confirmé à Hanoï, en novembre 1997.

L'AUF couvre plus de 40 pays sur les cinq continents. Elle n'a jamais été plus étendue qu'aujourd'hui. L'AUF est une instance de proposition, d'impulsion et de coordination, qui agit dans une double perspective: co-développement et excellence. Elle a des rôles importants à jouer en Europe, au Canada-Québec, dans le monde, et particulièrement dans les pays en voie de développement.

L'Union européenne a aujourd'hui douze langues. Son élargissement vers les pays de l'Est en ajoutera sept ou huit. Une question urgente et majeure se pose: comment faire fonctionner un ensemble politique avec une vingtaine de langues différentes?

L'Europe a des racines humanistes, des langues multiples, des cultures partageant des valeurs communes, nées en son sein: la liberté d'expression, de pensée, de conscience, les droits de l'homme, avec son outil, la démocratie, ses réalités, comme la protection sociale. La journée du 11 septembre 2001 a montré que ces valeurs ne sont pas partagées universellement.

L'Europe s'unifie autour d'une monnaie unique. Il faut se méfier toutefois du désir, compréhensible, de l'unifier autour d'une langue unique. Parce que chaque langue est un trésor à préserver, et cela au sein d'une communauté composée d'une vingtaine de langues, requérant un outil de communication commun, au sein d'une économie mondialisée. Il faudra, à cette fin, se contenter d'un nombre restreint de langues de travail, qui puisse permettre aux Européens de communiquer aisément et plus profondément, plus précisément qu'avec l'anglais basique devenu le véhicule de globalisation.

Parmi ce nombre restreint de langues se trouve le français. Un nouveau devoir en Europe s'impose ainsi à l'AUF: participer au redéploiement du français pour tous ceux qui le souhaitent, notamment pour les affaires et les échanges commerciaux dans les divers pays européens (ainsi, l'effort a débuté dans un pays hors de l'Union européenne... répondant à une demande exprimée par la Norvège). Au Canada-Québec, l'AUF, qui y a son siège, doit poursuivre le magnifique élan dont le Québec a été l'origine. En Asie, un renouveau d'intérêt a gagné des pays comme le Cambodge et le Vietnam.

Mais concentrons-nous sur l'Afrique francophone. Comment coopérer à l'adaptation de l'Afrique à un monde entré dans une ère de liberté de la communication, de nouvelles technologies de l'information? Comment éviter que l'Afrique ne devienne le trou noir de la mondialisation en cours? L'Afrique représentait 6% du commerce mondial; elle n'en représente plus que 2%. Et pourtant,... Comme un défi qu'elle proposerait à une coopération bien menée, qui pourrait devenir une immense machine d'adaptation et de développement, l'Afrique tente encore, jusque dans la misère qui est la sienne, de palabrer, de faire la fête, de chanter.

Nous vivons heureusement en démocratie. Le pouvoir y est aujourd'hui réparti, parcellisé, entre les trois pouvoirs traditionnels, législatif, exécutif et judiciaire, et trois pouvoirs qui façonnent la société: le scientifique et technique, le financier et le médiatique. L'Afrique doit chercher, dans une formule qui lui soit propre, à organiser ces pouvoirs.

La civilisation africaine se fonde historiquement sur des concepts très différents des nôtres: l'écrit, le droit, la propriété, la communication. La société africaine reste aujourd'hui plus intime que la nôtre. Les règles sociales et de négociation y sont autres. Ainsi, l'histoire pré-coloniale de ces sociétés montre qu'à aucun moment de leur existence, celles-ci n'ont fait la guerre pour des questions religieuses; même si le sens en était différent, leur apport artistique est considérable. Bien des échecs de coopération sont dus à un manque de compréhension des valeurs propres à la société africaine. Mais tout reste possible, même si le progrès peut diviser, dans l'acceptation de la différence.

L'Afrique francophone et nous avons en commun une langue, qui peut être une source de complicité. Je prendrai un exemple, hors de la coopération universitaire, - exemple qui peut étonner, tiré des pratiques sportives, - et suscité par la performance de quelques athlètes africains à Edmonton, au Canada: Amy Mbacke Thiom qui a gagné le 400 mètres féminin. Le parcours de Amy, c'est d'abord une pratique sportive démarrée à l'école; c'est ensuite l'accueil par un centre d'entraînement international créé par la Conférence des ministres de la jeunesse et des sports de la francophonie en 1998. Il en existe trois: un à Dakar pour l'athlétisme, un à Tunis pour la boxe et un à Abidjan pour la lutte et le judo. La francophonie donne en outre des bourses aux sportifs et sportives qui s'y entraînent. Un nouveau centre est en cours d'installation à Maurice, pour l'Océan Indien, un autre à l'étude en Egypte, pour les handicapés.

On sait que l'Afrique est un vivier d'athlètes, très utilisé par les équipes européennes et américaines. L'exemple donné montre que la francophonie est un espace possible d'actions concrètes dans une démarche progressiste. On peut envisager une formation sportive dans une perspective de développement durable, et ceci dans les pays africains eux-mêmes pour éviter que des stages de longue durée dans un pays du Nord soient l'alternative pour réaliser une carrière sportive. L'exemple donné peut trouver des parallèles en agriculture, pour la gestion de la forêt tropicale; dans la petite industrie; dans la micro-économie; dans le domaine de la santé. Dans ce domaine particulier, il faut organiser et gérer les soins de santé primaire, faire fonctionner des hôpitaux de dimensions et de techniques adaptées, et surtout former des "homologues" locaux, avec des stages réguliers dans un pays du Nord en vue de réactualiser les connaissances.

De nouvelles initiatives ont été prises par l'Union africaine, nouvelle appellation de l'Organisation de l'unité africaine (OUA, qui regroupe les 53 pays d'Afrique noire), afin, notamment d'attirer les entreprises étrangères (le marché africain ne représente actuellement que 1% du PIB mondial).

L'AUF a une immense action en cours, qui concerne les nouvelles technologies éducatives, les formations à distance, le renforcement des universités, la mobilité scientifique universitaire, le soutien aux réseaux et aux structures associatifs.

En conclusion, nos vues sont plus optimistes que celles exprimées par Jean-Marie Rouart, que ce soit sur la langue française elle-même, sur la Francophonie, sur un renouveau de l'action politique. La lutte contre l'apartheid a été réussie. Beaucoup d'autres combats doivent être menés et peuvent aboutir. Il est difficile de les hiérarchiser. Citons l'agriculture, la gestion de l'eau, la production et la distribution de l'énergie. Les voies à emprunter par l'Afrique ne sont pas les mêmes que les nôtres. Notre objectif doit être limité à l'apport d'une coopération visant à ce que l'Afrique choisisse et réalise elle-même son développement, dans le cadre de ses valeurs, souvent différentes des nôtres. Si le projet Tobin sur la taxation des transactions financières sur le marché des changes doit voir le jour, son produit devra être utilisé à la coopération et au développement.

Le développement de l'individualisme conduit l'Occident vers une "civilisation de la solitude" (selon une expression de JP Sartre), à l'opposé des sociétés africaines. La coopération au développement doit tenir compte de telles différences pour éviter de mener à un choc, voire à un affrontement. Sans un tel engagement une coopération vraie est irréalisable.

 

André L. JAUMOTTE

Président d'honneur de l'AUF (AUPELF-UREF)


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