Je veux, Monsieur Wilmet, crier la vérité
Devant cette assemblée de grande qualité
Et proclamer bien haut que je suis... amoureux...
C'est bien pour ça d'ailleurs que je suis Richelieu.

Je sus rapidement que j'aurais besoin d'elle
Car, au premier contact, elle fut maternelle ;
Mais, malgré mon désir, je dus vite comprendre
Que, pour la posséder, il faut d'abord l'apprendre...

C'est à vingt ans, je crois, que je fus le plus fou ;
Je voulais m'exprimer, je la cherchais partout,
J'écoutais la radio, je courais au théâtre,
La retrouvais le soir, en lisant près de l'âtre.

Je la trouvais jolie, fine et très cultivée,
Toujours très savoureuse mais parfois compliquée,
Souvent insaisissable, aimant me faire languir
Même quand je pensais avoir mon mot à dire...

Par de brillants amants follement courtisée
Qui jouaient avec elle sans qu'elle fût épuisée,
Elle se fit taxer d'humeur un peu changeante
Quand elle prouvait là qu'elle était bien vivante.

Grâce à elle j'ai vécu des moments délicieux,
Grâce à elle j'ai connu des contacts fructueux,
Même pour mon métier, j'avais confiance en elle

Quand un beau jour, j'appris, par un de ses fidèles,
Que par d'anciens amants elle était délaissée
Et par certains voisins quasi contaminée.

Lors de fins connaisseurs, pour la garder en vie,
S'occupèrent à leur tour de son académie
Tandis que fut créé un conseil supérieur
Pour défendre la belle en vrais gardes du cœur.
C'est qu'il faut la soigner en tout bien tout honneur
Pour bien lui conserver son état de fraîcheur.

Oserais-je à mon tour et malgré mon grand âge,
Oserais-je à ses pieds déposer mes hommages ?
Pour elle alors, je voudrais bien être un artiste
Et ciseler les mots qui rendent gai ou triste,
Etre le magicien qui fait rêver les foules
En sortant du chapeau un pigeon qui roucoule,
Connaître les vertus de la baguette magique
Qui ferait de ce texte une fresque historique ;

Etre pendant une heure un Jean de La Fontaine
Pour m'abreuver de vers et en faire un poème,
Puiser dans les voyelles, choisir dans les consonnes,
Assembler des syllabes en phrases qui résonnent,
Apostropher virgules et points d'exclamation
Pour tenir en haleine les points de suspension,
Faire voltiger les verbes, s'entrechoquer les mots
Pour qu'éclatent les rires et s'effacent les maux.

Hélas, je ne suis pas un Jean de La Fontaine,
Encor moins un Ronsard, un Molière, un Verlaine.
Mes efforts toutefois l'ayant mise en confiance,
La belle d'un seul coup m'a fait ses confidences :
« Tous ces passeurs de mots sont des gens adorables
« Mais j'appartiens à tous sans me sentir coupable ;
« Pouvez vous de ma part dire à monsieur Wilmet
« Que j'estime beaucoup tout le talent qu'il met
« A défendre ma cause, et tout le temps qu'il passe
« Pour que je reste belle en dépit des menaces ;
« Adressez-lui pour moi ce mot court et précis,
« Ce mot reconnaissant venu du cœur : merci.

 

Jean DELAHAUT
Richelieu Namur
Mars 2001

Ce texte a été écrit à l'occasion de la remise du titre de Personnalité Richelieu à Marc Wilmet, président du Conseil supérieur de la langue française et professeur de linguistique à l'ULB et à la VUB.
Le titre de Personnalité Richelieu est attribué annuellement par le conseil d'administration de la Région Belgique-Luxembourg du Richelieu International.
Le Richelieu International est un organisme composé de clubs sociaux, dits de service. Fondé en 1944 à Ottawa, il est le seul organisme du genre exclusivement d'expression française. Plus de 300 clubs sont répartis dans une dizaine de pays à travers le monde.
La Région Belgique-Luxembourg compte actuellement 18 clubs, dont un en Flandre à Ostende - le Richelieu Littoral qui recevra sa Charte le 5 mai 2001.