Nouvelles de Flandre
L'internet nous tire la langue

L'introduction de l'internet dans nos habitudes de communication a-t-elle eu une influence sur la langue? Ou encore, comment est traitée la langue française sur l'internet (la messagerie, les "chats", les forums, les sites)? Tout nouveau moyen de communication inventé par les hommes bouleverse les habitudes et crée souvent de nouveaux comportements.

Quand l'imprimerie est née, très peu de contemporains soupçonnaient ce qu'elle allait permettre. Les esprits continuaient à fonctionner dans les schémas habituels : l'imprimerie allait soulager le travail des scribes chargés de recopier les manuscrits en plusieurs exemplaires, et cela s'arrêtait là. Ce n'est que petit à petit que l'imprimerie a développé sa fonction propre et est devenue un des outils principaux de diffusion à grande échelle de la culture.

Quand le téléphone s'est installé dans les foyers, les gens criaient dans le cornet. Mon père encore, peu habitué à cet outil parce que ne l'utilisant qu'aux grandes occasions, haussait le ton lorsqu'il téléphonait. Maintenant, nous sommes capables de chuchoter des mots d'amour au téléphone.

À ses débuts, on imaginait qu'on ne pourrait échanger par téléphone que des communications techniques, des informations précises et rapides que l'on confirmerait d'ailleurs par courrier écrit, pour plus de sureté. J'ai passé des heures au téléphone dans des communications très intimes où le silence même prenait tout son sens.

Alors, l'internet?

Parlons d'abord de la messagerie, c'est-à-dire du système qui permet d'échanger du courrier qu'on appelle "électronique" parce qu'il est virtuel, ne se matérialise pas par du papier. Sur la messagerie, on peut s'échanger des "courriels" (contraction de "courrier" et "électronique") appelés aussi "e-mails". Chaque internaute dispose ainsi d'un espace qu'il peut remplir à sa guise.

À ce courrier, il peut joindre un fichier, un document qui par ailleurs a déjà été préparé sur l'ordinateur. Par exemple, le texte que vous lisez actuellement a été tapé sur un ordinateur et envoyé avec un gentil petit mot d'accompagnement au comité de rédaction du Ligueur. Toute l'opération se réalise en quelques instants.

Que remarque-t-on? En général, les documents joints sont soignés, terminés. Ils ont été relus et l'objet de toute l'attention du rédacteur. Les lettres d'accompagnement, par contre, sont souvent très courtes, en style direct, presque parlé et comportent souvent des erreurs orthographiques. Pourtant, la plupart des programmes de messagerie comportent un correcteur orthographique comme les traitements de texte. On dirait que le message électronique est une espèce de "post-it" rapidement griffonné, sans grande importance.

Haro sur l'orthographe?

La vitesse de transmission est le principal avantage de la messagerie de l'internet par rapport au courrier postal traditionnel que les habitués baptisent gentiment "courrier escargot", mais il semble que cette vitesse ait un effet pervers sur la rédaction même des messages.

Les messages électroniques sont souvent écrits dans un style relâché, respectent moins la ponctuation et les règles de présentation du courrier classique. Peu d'internautes s'adressent par exemple à leurs correspondants avec un "Monsieur" ou "Madame" ou encore un "Cher Christian". Les formules de politesse, n'en parlons pas, elles ont disparu à la trappe. Tout au plus, découvre-t-on parfois un généreux "A+". Or rien ne justifie d'aller vite puisque l'on peut rédiger ses messages hors connexion, sans que cela ne coute un franc.

Même sur les listes spécialisées qui ne parlent que de la langue française et de ses problèmes et qui s'adressent donc à desspécialistes (professeurs, linguistes, etc.), l'on trouve un nombre impressionnant de "fautes".

L'internet donne sa langue au "chat"

Les forums (lieux d'échange de messages) souffrent des mêmes maux. Mais le pompon revient manifestement aux "chats", c'est-à-dire aux messageries en direct où les internautes (jeunes, pour la plupart) échangent en temps réel leurs avis sur une question donnée ou proposée par l'un d'entre eux. Voici un court exemple pris au hasard :

"slt alors mon pseudo est magic2 j'ai 16 ans je suis d'amiens je suis gold et bon alors ma suggestion est que on parle de hochey sur glace enfin si vs le voulez bien car amiens va etre champion de france on est en finale du tournoi et on a gagne 2 match sur 2 plus que 1 et on est champion"

Les abréviations pullulent, les fautes d'orthographe fleurissent, les majuscules sont abandonnées, l'accentuation est inexistante, la ponctuation a disparu. Dans ce cas évidemment, on écrit ses messages tout en étant en connexion. Le stress, la rapidité d'exécution, l'émotion, le souci d'économie sont probablement les causes principales de ce comportement. Ne compte plus apparemment que la communication pure et dure, l'important c'est que le correspondant comprenne et réagisse, d'ailleurs dans les secondes qui suivent, il n'aura plus le message sous les yeux.

Jusqu'il y a peu, je croyais béatement que la messagerie électronique était elle aussi réservée à l'échange de messages rapides, techniques, parfois accompagnés de documents (les fichiers joints ou "attachés") plus importants.

Or, il y a quelques mois, j'ai reçu ma première lettre de rupture dans ma boite aux lettres électronique. Elle avait osé! Non, moi, je suis encore de la génération qui écrit ses lettres d'amour et de rupture sur papier, qui les glisse dans une enveloppe parfumée et les dépose délicatement dans la boite aux lettres de l'intéressée. Non, au grand jamais (rassurez-vous, mesdames), je n'écrirai de telles lettres sur l'ordinateur, ne serait-ce que pour entendre, dans les lettres d'amour, le doux scritch, scritch de la plume rythmant les battements de mon cœur et pour faire apprécier, dans les lettres de rupture, le niveau de mon désarroi à l'écrasement du papier!

Enfin, les signes diacritiques du français (accents, ligatures, cédilles principalement) sont souvent malmenés dans les messageries. Il arrive que les messages, correctement établis, s'imposent aux destinataires avec toute une série de signes cabalistiques qui troublent la compréhension immédiate. Cela est dû au fait que les messages transitent parfois par des "serveurs" (de gros ordinateurs-centralisateurs) exclusivement anglophones qui n'ont pas pris la peine de s'outiller de programmes adaptés aux alphabets latins autres qu'anglais.

Et sur la toile?

Il reste un autre aspect qui mérite d'être traité, c'est celui de l'utilisation de la langue française sur la toile (le "web"). Notre langue ne couvre approximativement que 2,36 % des millions de pages proposés par les sites de l'internet contre 85,55 % à l'anglais. Cette proportion évolue constamment et semble progresser. Le français reste quand même en 2e ou 3e position selon les sources. La plupart des sites francophones utilisent une langue plus soignée que celle décrite ci-dessus. Un site est une vitrine. Un plus grand soin préside en général à sa conception. Il y a évidemment des exceptions et certains sites sont littéralement cacographiques !

Même s'ils "parlent" français, les sites francophones sont souvent parsemés d'anglicismes, certains inhérents à la technologie de l'internet (html, web, e-mail, tools, hotmail, etc.), d'autres aux habitudes d'utilisation des promoteurs. Les sites multilingues proposent souvent trois langues. Le choix de l'internaute francophone peut alors se porter sur le drapeau français. Mais rien n'est gagné. D'une part, au gré de ses clics, il est souvent réorienté vers des pages anglophones (cela est dû à la paresse des concepteurs de sites qui ne traduisent pas tous les documents). Pire, il se trouve souvent face à un français de pacotille, difficile à comprendre, mal traduit, un peu à l'image de ce qu'on pouvait déjà découvrir sur les modes d'emploi des appareils importés d'Asie ou face à des "faux frères", c'est-à-dire des mots anglais maladroitement remplacés par ce que les traducteurs croient être leur équivalent ("concerné" pour "concerned", par exemple).

Quel avenir?

Il y a donc aussi un combat à mener pour la langue française sur le réseau des réseaux. Ce combat-là (ou cette défense si l'on préfère) ne doit pas devenir celui de "croisés" de la langue française ou de "puristes" attardés. Il traduit la revendication légitime de tout locuteur francophone. Il n'y a aucune raison de devoir renoncer à l'accentuation par exemple pour écrire dans la messagerie. L'internaute francophone est en droit d'utiliser le service de l'internet dans sa langue propre, avec toutes les nuances inhérentes à sa grammaire et son orthographe.

 

Henry LANDROIT
Président du Cercle de qualité du français dynamique

Article paru dans Le Ligueur le 24 mai 2000.Ce texte est écrit en orthographe nouvelle.


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