Nouvelles de Flandre
L'avenir de la Francophonie

La place de la langue française dans le monde

Parmi six continents, considérons en quatre: les deux Amériques, l'Australie et l'Afrique. Cinq langues y sont parlées, soit dans l'ordre du nombre de locuteurs: l'anglais, l'espagnol, le portugais, le français et l'arabe. Le francophone a-t-il toujours à l'esprit que l'espagnol et le portugais sont les langues les plus parlées dans le monde après le chinois et l'anglais?

Ceci met le français à sa juste place. Elle n'est pas nouvelle: au 16ème siècle, l'espagnol et le portugais le dépassent déjà.

Le 17ème et surtout le 18ème siècle vont lui donner une illusion, confortée par Rivarol dans son "Discours sur l'universalité de la langue française" (1784).

Le couple Europe - langue française a une liaison passionnée, large en étendue, mais étroite, réduite à une élite, en fait l'aristocratie. Frédéric II écrit ses ouvrages en français et ne manque pas une occasion de manifester son dédain pour la littérature germanique. Leibnitz s'élève contre cette vue et encourage ses compatriotes à éviter tout complexe d'infériorité.

Mais quelle descendance : la déclaration des droits de l'homme, des individus, la liberté de pensée, l'Etat laïque. La langue française a donc joué un rôle particulier dans la civilisation européenne.

Le 19ème siècle crée la francophonie : la colonisation étend l'usage du français vers une partie de l'Afrique, du Sud-Est asiatique, de la Polynésie, des Antilles et il se maintient en Amérique.

La francophonie d'aujourd'hui est bipolaire: France et francophones de Belgique, de Suisse, du Canada, soit au total 72,5 millions de locuteurs français (moins que d'allemands) et une seconde partie essaimée dans le monde, principalement en Afrique, en fait dans des pays en développement. Nombre de locuteurs vrais de cette seconde partie: pratiquement le même.

La francophonie c'est donc 150 millions d'individus dans le monde et non 400 millions, comme disait Maurice Druon en donnant la somme des habitants des pays dont la langue officielle est le français. Dans ces pays, tous les habitants ne parlent pas et ne comprennent pas le français.

Dans le monde, la langue française est en déclin comme les autres langues, y compris l'allemand devant l'extension de l'anglais. Cette prédominance de l'anglais dans le sillage du monde américain est-elle un bien ou un mal? Inutile de juger; contentons-nous de constater.

Mais il ne faut pas constater le déclin de la langue française comme on contemplerait Venise s'enlisant dans la lagune. Il faut reprendre la devise d'Orange-Nassau "Je maintiendrai". Nous le devons, c'est notre devoir.

L'enseignement de la langue française

Ma participation à la Commission "Multilinguisme" du Conseil de la langue française, m'a appris et permis de découvrir ou d'approfondir beaucoup de choses sur ce sujet notamment la question de l'enseignement de la langue française à Bruxelles qui est devenue une ville particulière, avec une proportion élevée d'émigrés (plus de 25%), dont la langue maternelle n'est ni le français, ni le néerlandais.

Or, l'enseignement à Bruxelles est bilingue: français et néerlandais, avec apprentissage obligatoire de l'autre langue dès le début des études primaires. Quelle est l'importance? C'est que les enfants d'émigrés ont un enseignement dans la langue qu'ils choisissent elle est de toute façon différente de leur langue maternelle.

L'enfant bruxellois d'origine devient bilingue, tandis que l'enfant émigré doit devenir trilingue. Tant mieux pour lui. La difficulté c'est que l'enseignement d'une langue seconde est méthodologiquement différent de celui de la langue première, autre mot désignant la langue maternelle.

L'enfant émigré est donc dans une situation plus difficile avec une complication supplémentaire s'il est d'origine islamique: la non concordance des valeurs fondamentales de culture.

Il faut souligner le caractère utopiste et hypocrite du discours qui promet, dans une perspective économiste, le multilinguisme tout de suite et pour tout le monde, sans prendre en compte la réalité des différences entre individus. C'est un domaine où il n'existe pas de vérité unique. Quoiqu'il en soit, la maîtrise réelle de la langue maternelle est la base du multilinguisme.

Pour ce qui est des enfants dont la langue première n'est pas le français et qui fréquentent les écoles francophones, l'organisation actuelle de l'enseignement ne tient pas suffisamment compte des différences d'origine, avec la conséquence d'un taux inacceptable de décrochage scolaire, avec des séquelles individuelles et sociales, ainsi qu'un handicap à une insertion harmonieuse ultérieure. D'où la recommandation du Conseil Supérieur de la Langue Française de renforcer les actions de pédagogie interculturelle liées à l'"adaptation" à la langue française.

L'Internet en langue française

Les sites français sur Internet: moins de 3%. Mais il y en a encore beaucoup moins en allemand. Il faut faire une autre lecture des chiffres: 80% des francophones consultent de préférence des sites en français et ne vont vers l'anglais que s'ils ne trouvent pas le site qu'ils cherchent. Il faut aussi savoir que les sites en français représentent déjà plusieurs milliards de pages à consulter. La conclusion est simple: la priorité reste la production de sites en français, sites répondant à des projets de terrains.

Le Fonds Français des Inforoutes, depuis sa création en juin 1998, a traité plus de 600 projets dans des domaines variés: culture, enseignement, jeunesse, recherche, microcrédit, droit, presse, tourisme, art.

La deuxième priorité est la démocratisation de l'accès par l'équipement de lieux publics. Je citerai Boutros Boutros-Ghali, le Secrétaire général de l'Organisation Internationale de la Francophonie dont dépend l'Agence Universitaire de la Francophonie.

"La stratégie de la francophonie est de privilégier l'équipement des lieux publics, afin de répartir le coût de l'accès à ces équipements entre un grand nombre d'utilisateurs La francophonie veut, aussi, tirer le meilleur parti de l'implantation, par l'Agence intergouvernementale de la francophonie, dans 16 pays de 170 centres de lecture et d'animation culturelle en milieu rural, en les connectant progressivement à Internet. De même, à travers les 26 centres de ressources créés par l'Agence universitaire de la francophonie, c'est un véritable réseau qui s'est mis en place et qui permet la diffusion de plus d'un million d'unités documentaires par an auprès de la communauté universitaire francophone, ainsi que l'accès à l'lnternet scientifique pour plus de 40.000 enseignants chercheurs sur les cinq continents.La francophonie s'est par ailleurs fixé, en collaboration avec la Banque Mondiale, un ambitieux projet d'ouverture de "cybercentres", y compris dans un environnement privé."

Le combat pour la francophonie, c'est donc un combat contre le mur numérique qui est en train de se construire entre le nord et le sud, entre les inforiches et les infopauvres.

Le combat pour la francophonie, c'est une fraction du combat pour un développement durable, du combat pour la démocratie et du combat pour que la mondialisation ne soit pas une uniformisation, qu'elle se fasse dans le respect de la diversité culturelle.

Le français en science et en technique

J'ai beaucoup écrit à ce sujet. Dans le domaine de la science avancée, de celle qui se fait, la langue anglaise est aujourd'hui normalement utilisée par les scientifiques francophones pour obtenir une publication rapide dans les grandes revues internationales de très grande diffusion. On le comprend.

Dans le domaine devenu si important de la vulgarisation scientifique, c'est-à-dire l'information sur la science pour le non spécialiste, l'édition en langue française s'est développée et nous pouvons nous en réjouir.

Reste un domaine important et menacé : les brevets européens. L'Office Européen des Brevets est sis à Munich: 19 pays le composent, les 15 pays de l'U.E. et la Suisse, le Liechtenstein, Monaco et Chypre.

Le volume annuel des brevets européens représente approximativement un million de pages imprimées, donc beaucoup plus que l'ensemble des autres publications scientifiques et techniques.

Depuis 1978, il existe un dépôt de brevet unique, auprès de l'Office Européen, de demandes dites "européennes" (en français, en anglais, en allemand). A l'issue d'une procédure administrative unique, elles se transforment après délivrance en brevets nationaux, traduits dans la langue des pays intéressés (espagnol pour l'Espagne, Grec pour la Grèce, etc...).

Les sociétés multinationales, les pays d'Europe du Nord, prônent le passage sur "tout anglais" comme langue unique des brevets européens.

Un protocole de "Renonciation aux exigences en matière de traduction" est proposé à la ratification. S'il est accepté, il prendra effet le 30 juin 2001. Demain.

Renoncer à l'exigence du maintien du français serait une défaite pour la francophonie et une perte pour les PME-PMI qui forment 80% du tissu industriel français et aussi pour les entreprises de la Communauté Wallonie-Bruxelles.

Il importe donc de continuer le combat pour la place du français en science et en technique, mais là où il le faut.

 

André JAUMOTTE

Recteur honoraire de l'Université libre de Bruxelles
Membre de l'Académie royale de Belgique


Copyright © 1998-2000 A.P.F.F.-V.B.F.V. asbl
Secrétariat: Spreeuwenlaan 12, B-8420 De Haan, Belgique
Téléphone: +32 (0)59/23.77.01, Télécopieur: +32 (0)59/23.77.02
Banque: 210-0433429-85, Courriel: apff@dmnet.be
Site: http://www.dmnet.be/ndf