Nouvelles de Flandre

Êtes-vous linguistiquement correct?

Je vous entends me répondre d'ici.

Ce dialogue pourrait se tenir dans notre petite communauté francophone à de nombreuses reprises, si l'on plaçait (et Dieu nous en garde!) des gendarmes de la langue à tous les coins de rue. Une communauté comme la nôtre, au même titre que les communautés québécoise ou suisse romande ou des quelques pays où l'on parle français dans le monde, élabore une langue particulière qui s'éloigne plus ou moins de la « langue-mère » en ce qui concerne son vocabulaire et, dans une moindre mesure, la construction de ses phrases. D'ailleurs, n'allons pas si loin: si l'on prend comme référence la région de Tours, en France, où, par tradition, l'on prétend que le français parlé est «le plus pur», qu'en est-il de celui parlé à Toulouse, à Lyon, à Marseille, à Brest, etc.?

Reprenons notre dialogue. Les Belges francophones disent sur base de parce qu'ils sont influencés par le néerlandais op basis van. Ils disent athénée parce qu'ils ont choisi de le dire plutôt que lycée ou collège, réservés à d'autres usages qu'en France. Disent-ils je m'excuse parce qu'ils ignorent que c'est l'autre qui excuse ? Ils viennent d'entendre pourtant le Premier ministre s'excuser auprès des parents d'enfants disparus. Ils disent avoir facile comme on dit avoir mal, avoir bon, avoir froid et comme d'autres francophones de régions bien «françaises», celles-là (la Picardie, la Normandie et l'Est). On le rencontre même sous la plume de Colette et d'Aragon. Ils disent enfin doubler plutôt que redoubler et dans ce cas précis, on peut vraiment se demander qui est le plus près de la logique, si logique il doit y avoir...

Alors, allons-nous jeter la pierre à tous ces usages? Sont-ils vraiment «fautifs»? Telle est la question.

L'insécurité linguistique

On nous a tellement seriné que nous, les petits Belges, nous faisions des fautes de français en parlant que nous avons intégré cette culpabilité dans notre (petite) tête. Et ce n'est probablement pas un hasard si l'on a vu fleurir en Communauté française tant de livres «Ne dites pas, dites» ou tant de chroniques, de services qui répondent aux questions angoissées des usagers : «Est-ce que je parle bien? N'est-ce pas une faute de dire guindaille ou carte-vue?». La plupart des chroniqueurs de langue qui rédigent leurs billets dans les journaux ou ailleurs sont loin d'être normatifs et encouragent plutôt les gens à s'exprimer spontanément. Certes, ils relèvent les ambigüités, les difficultés, les erreurs que chacun d'entre nous (moi y compris, rassurez-vous) peut être amené à faire, un jour ou l'autre, mais leur rôle se limite à cela. Les linguistes qui sont au bout du fil des numéros de téléphone type «SVP Langage» sont plus des observateurs de la langue que des maitres à parler. Pourtant, notre communauté regorge de personnes qui vivent l'«insécurité linguistique» au jour le jour, qui n'osent pas s'exprimer oralement dans un lieu public non parce qu'ils n'ont pas d'idées, mais parce qu'ils craignent de faire des «fautes» de langage, qui n'osent pas écrire aux journaux ou à des institutions parce qu'ils voient déjà leur copie revenir bardée de rouge.

Que dire alors quand le Belge se rend dans la mère-patrie linguistique!

Ce malaise est exprimé superbement par Hubert Nyssen, écrivain et éditeur (Actes Sud) : «À peine entré en France (...), le Belge se sent perdu, minorisé, invalidé, coupable de parler la même langue, mais mal. Affolé, il surcharge et tombe dans la redondance, sème des virgules à la volée, plante des pronoms relatifs dans ses phrases comme les pieux d'une clôture, cultive l'adverbe avec la chicorée, adjective à la pelle, et surtout, ah! surtout se dénie cette liberté essentielle qui consiste à parler comme on respire, sans mettre en cause la légitimité du langage qu'on emploie. Bref, le Belge est un immigré! Sa propre langue devient marécage, il y patauge, et il croit que sur la rive, on ricane.»

Le rôle de l'école

Dans ce domaine, le rôle de l'école a été et reste toujours extrêmement important. En obligeant les élèves à prendre conscience qu'il existe quelque part un français mythique (le français dit standard), elle ne favorise pas leur expression propre. Ils se réfugient alors dans des langages inventés. La vogue, à certaines époques, du verlan (meuf, keum) ou de modes diverses dans le langage participe de ce besoin de création d'une langue particulière, adaptée aux nécessités du temps et en partie hermétique. Au fur et à mesure que les dictionnaires s'emparent des mots nouveaux ainsi créés, ceux-ci ont une tendance à disparaitre dans le langage des jeunes et à être remplacés par d'autres, plus complexes encore à décoder par les adultes.

Le «bon français» n'existe souvent qu'à l'école, dans ses cartons et ses citations. Et encore! L'école elle-même fait une sélection en citant plus souvent Hugo que Cavanna ou en ne prenant dans les «bons» auteurs que des exemples qui correspondent à la norme. Il est significatif, par contre, de constater dans le «Bon usage», le livre de grammaire servant de référence aux enseignants, le nombre incroyable de citations d'auteurs connus pour leur respect des normes s'écartant cette fois joyeusement de celles-ci au point que la notion même de «règle grammaticale» devient de plus en plus difficile à construire sur des exemples tirés de la littérature. Il suffit d'ouvrir ces gros volumes pour constater que très souvent de «grands» auteurs, appelés à la rescousse pour légitimer tel ou tel usage, se trouvent parfois cités en long et en large pour les exceptions.

On s'en sort en signalant que l'exception confirme la règle, mais il nous en reste souvent un arrière-gout d'ambigüité...

Une langue bâtarde?

Ainsi s'est installé lentement dans le chef des francophones belges le sentiment d'utiliser une langue bâtarde, moins claire, moins expressive, moins normée que celle qu'on utilise à Paris. Ce sentiment est peut-être moindre dans des villes comme Liège, Namur ou Charleroi qu'à Bruxelles car les premières revendiquent moins le statut de villes représentatives de la Communauté française du moins au plan international. De même, l'accent régional n'est pas nécessairement perçu comme une «faute». Au contraire, il peut devenir un facteur d'unité d'une communauté. Allez demander à un Liégeois d'abandonner son accent, vous vous heurterez probablement à un refus. Par contre, il acceptera plus facilement de supprimer avoir facile de ses conversations si on le convainc du bien-fondé et de la nécessité de ce changement.

Les classes sociales «supérieures» emploient moins des expressions régionales, des belgicismes que les autres. Bien que certains de nos dirigeants et des personnalités émaillent souvent leurs discours, leurs interventions radiodiffusées ou télévisuelles de grossières erreurs de langage ou tout simplement de régionalismes, nous avons une tendance à les attribuer plutôt à leur bilinguisme souvent nécessaire qu'à une mauvaise connaissance de la langue. Quand un président de parti dit qu'il n'aime pas tous ces «tchic et tchac» à propos des manœuvres supposées d'un adversaire politique, le public s'intéresse plus au contenu qu'au contenant, c'est-à-dire au problème soulevé qu'à l'expression régionale qu'il emploie et c'est tant mieux!

Osez, il en restera toujours quelque chose!

La langue appartient à tout le monde. C'est un outil de communication qui change, évolue, s'adapte. Donc changeons, évoluons, adaptons. Triturons-la, torturons-la, jouons avec elle, mais surtout utilisons-la sinon elle dépérira et, un jour, mourra de sa belle mort!

 

Henry LANDROIT

Ce texte suit les recommandations orthographiques du Conseil supérieur de la langue française.
Article paru dans le journal Le Ligueur N° 10 du 11 mars 1998.


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