Nouvelles de Flandre

La nouvelle orthographe

L'orthographe a toujours évolué. Il fut un temps où elle n'avait pas l'importance qu'elle a aujourd'hui. Au 17ème siècle, le maréchal de Saxe, haut officier supérieur du Roi de France, pouvait se permettre d'écrire: «Je fais plasser 30 piesses de canon sur les rampar».
Nos classiques et les textes anciens, lorsqu'ils sont réédités, le sont dans l'orthographe actuelle. Il nous serait difficile de lire Molière ou Racine dans l'orthographe originale.

Le 24 octobre 1989, en France, le premier ministre de l'époque, Michel Rocard, installe un Conseil supérieur de la langue française.

De quoi s'inspire le premier ministre? Il faut savoir que depuis toujours, il y a eu des tentatives de réforme de l'orthographe et que ce siècle en a produit plusieurs. Mais limitons-nous pour l'instant aux quelques dernières années et retenons ce qui fit grand bruit.

Il y eut d'abord une lettre ouverte d'une dizaine de linguistes. Ceux-ci réclamaient une réforme et en démontraient l'urgence. Il y eut ensuite les instituteurs qui par le biais d'un livre, Que vive l'orthographe!, font un appel du pied très sérieux au pouvoir politique. Il y eut enfin le travail acharné d'une linguiste, Nina Catach, dont nous déplorons la mort récente. Elle publie à cette époque, après de multiples ouvrages sur le sujet, Les délires de l'orthographe qui met en lumière toutes les aberrations de l'orthographe française.

Michel Rocard installe donc ce Conseil et lui donne comme première mission de faire «des propositions de rectifications précises, limitées et respectueuses de l'histoire et de la nature de notre langue, dans son passé comme dans son devenir». Le Conseil nomme en son sein un comité de neuf experts.

En juin 1990, un rapport est présenté au premier ministre. Une véritable levée de boucliers soulève la presse française contre ce rapport. Des écrivains, des personnalités critiquent les rectifications, souvent sans aucune mesure ni information préalable.

En janvier 1991, l'Académie, qui avait donné un avis favorable en 1990, est même obligée de publier un communiqué qui rappelle que «l'orthographe actuelle reste d'usage et les recommandations du Conseil supérieur de la langue française ne portent que sur des mots qui pourraient être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être jugés comme des fautes».

Quelle application en Belgique?

Si de nombreuses réactions, principalement d'opposition, ont vu le jour en France, en Belgique, par contre, l'application des recomandations orthographiques a fait son petit bonhomme de chemin.

Individuellement, d'abord, de nombreuses personnes se sont mises à utiliser la nouvelle orthographe considérant que dans ce domaine, aucune loi ou aucune autorité n'avait à leur donner d'autorisation. Ils prirent l'habitude, dès 1990, de souligner par un cachet Orthographe nouvelle ou, plus rarement, Orthographe traditionnelle, l'orthographe utilisée dans leur courrier, leurs articles, etc.

Quelques-unes d'entre elles se regroupèrent autour d'André Goosse qui faisait partie du comité d'experts, pour créer l'Association pour l'application des recommandations orthographiques &endash; APARO &endash; à l'automne de 1990. Cette association regroupe des linguistes, des enseignants, des personnes intéressées par la langue et l'orthographe. Elle se donne pour buts de faire connaitre la nouvelle orthographe, d'informer le public par des articles de presse, des débats, des séances d'information. Elle préconise l'emploi de la nouvelle orthographe dans l'édition, dans l'enseignement, dans la presse. Elle intervient auprès des autorités compétentes pour que les recommandations orthographiques soient appliquées dans les documents officiels et admises dans les épreuves et examens.

L'Aparo a produit depuis deux outils de référence: l'un, Le vadémécum de l'orthographe nouvelle, reprenant l'ensemble des mots touchés, et l'autre, L'essentiel de la nouvelle orthographe, ne reprenant lui que les huit-cents mots les plus courants. Elle organise des séances d'information, publie un périodique trimestriel &endash; La lettre de l'Aparo &endash; et est intervenue à plusieurs reprises auprès des responsables de l'enseignement pour qu'une information soit faite auprès des enseignants et que les formes générées par la nouvelle orthographe ne soient pas considérées comme fautives, ainsi que le recommande l'Académie française.

Ces interventions ont donné de bons résultats dans l'enseignement libre catholique où la nouvelle orthographe est bien accueillie. Plusieurs programmes sont écrits en nouvelle orthographe et en recommandent l'usage.

Dans l'enseignement officiel, les choses ont évolué plus lentement mais viennent d'aboutir à la rentrée de septembre 1998 à la publication d'une circulaire d'informations envoyée par les soins du Ministère auprès de toutes les écoles, informant de l'existence de la nouvelle orthographe. Elle s'intitule: Recommandations relatives à l'application de la nouvelle orthographe. Elle propose également aux enseignants l'acquisition gratuite de la brochure L'essentiel de la nouvelle orthographe.

Parallèlement, une dizaine de revues dont La Revue nouvelle et La Revue générale se sont mises à la nouvelle orthographe. Les lecteurs ne se sont d'ailleurs aperçus de rien

La plupart des universités recommandent son emploi. De nombreuses écoles primaires, secondaires et supérieures enseignent ces nouvelles graphies. Des revues d'enseignants se mettent à l'utiliser. Des journaux quotidiens ou hebdomadaires acceptent que certains articles appliquent la nouvelle orthographe même si le comité de rédaction est divisé quant à son emploi. En général, ces articles sont signalés par la mention: Ce texte suit les recommandations orthographiques du Conseil supérieur de la langue française.

Nous sommes en négociation actuellement avec le journal Le Soir pour publier tout ou partie d'un numéro en nouvelle orthographe. Nous suivons ainsi l'exemple des Suisses qui ont obtenu une édition spéciale du journal Le Matin, quotidien de Lausanne, le mardi 18 mars 1997, entièrement en orthographe nouvelle. Chaque mot rectifié est souligné et le nombre total de mots modifiés figure en haut de chaque page, ce qui donne une moyenne de moins de dix mots par page de journal. On a calculé que dans un roman édité dans une collection de poche, un à deux mots seraient modifiés à chaque page. Un site internet où l'on peut consulter les listes de mots a été mis en place.

Et les autres pays francophones?

En Suisse, outre l'initiative que je viens de signaler, la Délégation à la langue française de Suisse romande est favorable et un gros effort d'information est fait principalement vers les milieux d'enseignement, par la diffusion de documents semblables à ceux de l'Aparo. André Goosse y a été invité à plusieurs reprises pour y parler de la nouvelle orthographe.

Au Québec, on porte en général un grand intérêt à ces recommandations. Mais le Québec se sent en difficulté sur ce point. Se sentant déjà marginalisé du fait de son éloignement, de son «accent», de son lexique particulier, il ne se sent pas particulièrement tenté d'ajouter un handicap supplémentaire à son intégration dans la francophonie. Plusieurs responsables pensent qu'ils embrayeront sur la réforme lorsque la France l'aura fait. Les pays africains et en général les anciennes colonies de la France ne prennent pas d'initiatives à ce propos.

Qu'en est-il des dictionnaires?

Depuis plusieurs années existe une commission d'uniformisation des dictionnaires. Dans ce cadre, un travail est également en cours touchant l'orthographe nouvelle. Une étude récente a cependant pu mettre en lumière que 85 % des huit-cents mots les plus fréquents touchés par la nouvelle orthographe étaient déjà sous leur forme rectifiée dans les dictionnaires, mais malheureusement pas dans le même! Tel dictionnaire admet l'agglutination d'entretemps, tel autre pas, qui lui accepte évènement. Une mise en ordre est urgente de ce point de vue, tout le monde en est conscient. Mais il faut savoir aussi que les éditeurs de dictionnaires sont autant des philologues que des commerçants !

Les recommandations ont été intégrées dans le premier volume de la neuvième édition du Dictionnaire de l'Académie française, en 1992 puis en 1994 dans un format poche, à la fois dans le corps du texte et reprises en pages spéciales en fin de volume. L'Académie a intégré de manière définitive les changements d'accents, le pluriel des noms composés et étrangers et propose parfois les deux orthographes comme pour crèmerie et crémerie, criterium et critérium, craquèlement et craquellement. Comme c'est en général un dictionnaire de référence, on peut espérer que cela va faire boule de neige. Le Robert, quant à lui, utilise la formule discrète «on écrirait mieux» pour introduire les mots rectifiés.

L'enseignement de la nouvelle orthographe

Faut-il enseigner la nouvelle orthographe?
La question est d'importance. Personnellement, je crois qu'il faut l'enseigner comme une variante possible étant donné que l'ancienne continuera à vivre un certain temps et que notre environnement livresque est constitué, la plupart du temps, de livres écrits en orthographe traditionnelle. Mais les choses changent. Des manuels de grammaire et d'orthographe commencent à paraitre en l'utilisant. Les ouvrages de référence comme Le bon usage de Grevisse-Goosse et le Nouveau dictionnaire des difficultés du français moderne de Hanse-Blampain la signalent et lui donnent une place importante.

L'idéal, et c'est ce qui se fait dans certaines écoles, c'est de ne plus enseigner que la nouvelle orthographe aux enfants qui débutent dans l'apprentissage de la langue. A mon sens, il faut rester serein et montrer, démontrer chaque fois que cela est possible, ses avantages sur l'orthographe traditionnelle. Ainsi, petit à petit, elle entrera dans les moeurs.

Le contenu des recommandations

Je préfère le terme recommandations à celui de rectifications pour insister sur le fait qu'il n'y a effectivement, dans l'esprit de ceux que l'on appelle un peu abusivement les réformateurs, aucune intention d'imposer l'orthographe nouvelle.

Règles générales

1. Devant une syllabe contenant un e muet, on écrit è et non é: évènement comme avènement, cèdera comme lèvera, etc.
Exceptions:
a) les préfixes dé- et pré- (dégeler, prévenir, etc.);
b) les é initiaux (échelon, édredon, élever, etc.) ;
c) médecin et médecine.

2. Dans les verbes terminés à l'infinitif par -eler et -eter, le e du radical se change en è quand la syllabe qui suit contient un e muet: il détèle, il époussète; il détèlera, etc. Les noms en -ment s'écrivent comme le verbe.
Exceptions: appeler, jeter et les verbes de leurs familles (y compris interpeler) redoublent l ou t devant une syllabe contenant un e muet: j'appelle, je jette, j'appellerai, etc.

3. Il n'y a pas d'accent circonflexe sur les lettres i et u: traitre, bruler, etc.
Exceptions:
a) les 1re et 2e personnes du pluriel du passé simple: nous vîmes, nous lûmes, vous lûtes, etc.;
b) les mots qui sans cet accent seraient homographes: le participe passé , les adjectifs mûr et sûr, le nom jeûne et les formes du verbe croitre qui sans accent seraient identiques à des formes du verbe croire: il croît, je croîs, etc., ainsi que la 3e personne du singulier du subjonctif imparfait: je voulais qu'il partît; plût au ciel que..., etc.

4. Les noms composés formés, avec trait d'union, soit d'un verbe suivi d'un nom complément d'objet direct, soit d'une préposition suivie d'un nom prennent la marque du pluriel au second élément quand et seulement quand le nom composé est lui-même au pluriel: un essuie-main, des essuie-mains un garde-meuble, des garde-meubles (qu'il s'agisse de personnes ou de choses); un après-midi, des après-midis, etc.
Exceptions : quelques composés dont le second terme contient un article (trompe-l'oeil) ou commence par une majuscule (prie-Dieu).

5. Les numéraux composés sont unis par des traits d'union: vingt-et-un-mille-trois-cent-deux, etc.
N.B. Million et milliard, qui sont des noms comme millier, ne sont ni précédés ni suivis d'un trait d'union: deux millions trois-cent-mille, etc.

6. Le participe passé laissé suivi d'un infinitif reste invariable: les enfants que tu as laissé partir.

7. Les noms que le français a empruntés à d'autres langues font leur pluriel comme les autres mots français: les matchs, les solos, les maximums, etc.
Exceptions: les noms ayant conservé valeur de citation restent invariables: des requiem, etc.
N.B. La règle vaut aussi pour des noms qui étaient des pluriels dans la langue d'origine: un errata, des erratas, etc.

8. La finale -olle est remplacée par la finale -ole: corole, etc.
Exceptions : colle, folle, molle.

 

Conclusion

«Nous passons une grande partie de notre vie à apprendre à écrire en français et (...) les plus instruits et les plus intelligents d'entre nous n'y parviennent qu'imparfaitement » écrivait Pierre Larousse en 1874 dans son dictionnaire. L'orthographe a toujours posé problème. Il est temps de prendre le taureau par les cornes et d'introduire de petites réformes faciles à assimiler pour redonner à l'orthographe le seul rôle qu'elle n'aurait jamais dû perdre: être l'habit de la langue et non la langue elle-même. Un habit, cela se répare ou se change de temps à autre!

 

Henry LANDROIT
Secrétaire de l'APARO.

Association pour l'application des recommandations orthographiques, rue du Serpentin 29, 1050 Bruxelles.
L'essentiel de la nouvelle orthographe est disponible au prix de 60 BEF à verser au compte 000-0842075-18 de Publications APARO et repris sur le site internet: http://www.fltr.ucl.ac.be/FLTR/ROM/ess.html

Conférence donnée à Bruxelles le 15 octobre 1999 à l'occasion de la Journée de la langue française de l'ABPE. Ce texte suit les recommandations orthographiques du Conseil supérieur de la langue française.


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