Nouvelles de Flandre

Francophonie et mondialisation

L'Europe, c'est peut-être et avant tout une longue et féconde histoire d'amour avec la science, ses applications et cela depuis la Grèce antique. Au 18e siècle, le couple Europe-langue française a eu une liaison passionnée, large en étendue mais étroite, réduite à une élite. C'est aussi le temps des Lumières qui mène à la Révolution française de 1789, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'où nous vient le modèle démocratique. La Déclaration définit essentiellement les droits des individus, mène à la liberté de pensée et à l'Etat laïque. Les droits de l'homme imprègnent la Constitution américaine (1787), la séparation des Églises et de l'État s'y est faite en 1791.

La langue française a donc joué un rôle particulier dans la civilisation européenne, voire occidentale.

La colonisation qui a marqué le XIXe siècle a étendu l'usage du français dans le monde vers une partie de l'Afrique, du Sud-Est asiatique, des Antilles, de la Polynésie et même de l'Amérique. Il y a une littérature française africaine, antillaise, canadienne… Aimé Césaire, Léopold Sedar Senghor avaient montré la voie.

Dans la mondialisation en cours, la place de la langue française doit être défendue, car elle est une valeur essentielle pour nous, francophones d'Europe, mais aussi pour tous les francophones du monde qui en ont fait leur outil de communication principal. Je salue en passant le Québec, le combat qu'il a mené et qu'il a gagné. La position du français est assurée au Canada. A nous de la maintenir à une juste place dans la mondialisation.

Quel est le défi?

La révolution de la communication que nous vivons avec les nouvelles technologies multimédia est d'origine américaine. Tous les savoirs du monde seront numérisés et disponibles sur les réseaux. La révolution numérique est en cours. C'est un risque majeur d'hégémonie d'une seule langue, l'anglais, aux dépens du multilinguisme, d'une seule culture, l'américaine, aux dépens de la diversité, notamment à travers le développement très rapide de l'Internet sur lequel 80% des sites sont en anglais. L'anglais est déjà la langue universelle du voyage, du tourisme. Il est la langue prépondérante dans le commerce et l'industrie, dans l'expression scientifique originale, bien qu'il subsiste des publications originales en français dans certains domaines. J'ai, chaque année, l'occasion de le constater à deux occasions: la remise du grand Prix Mohamed EL Fasi, décerné par l'Agence universitaire de la Francophonie, sur proposition de son Haut Conseil, à un lauréat d'expression française, successivement dans les domaines de la médecine tropicale, l'économie du développement et l'agronomie-foresterie ; la remise du Prix Roberval, prix francophone du livre et de la communication en technologie. Ici, nous sommes davantage dans la haute vulgarisation, couvrant les ouvrages «grand public», les livres d'enseignement supérieur, la télévision et les multimédias.

De tels bilans sont réconfortants. Ils font penser que la francophonie n'est pas trop fragile, malgré le succès du modèle audiovisuel américain.

Si la capacité d'utilisation des multimédias, de l'Internet, croît rapidement, qu'en est-il de l'écriture interactive ? Elle doit s'apprendre, comme l'écriture d'un film. Comment passer de l'idée aux étapes plus concrètes de l'étude, de la conception, de la présentation globale du projet, pour aboutir à l'écriture proprement dite du produit ? L'idée doit se soumettre à des contraintes tant techniques que financières. L'auteur doit s'insérer dans une équipe comprenant des techniciens, des responsables du marketing et des budgets, pour aboutir à un produit multimédia interactif apprécié. Une nouvelle écriture s'est développée. Est-il acceptable de ne pas savoir la pratiquer, même si on sait la lire?

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication révolutionnent l'enseignement à distance en réalisant l'Université virtuelle dont la qualité reste l'objet de débats entre traditionalistes et progressistes. Ces technologies mènent à une révolution pédagogique où les rapports enseignants-enseignés vont changer radicalement. Lorsque l'étudiant peut accéder au cours sur Internet au moment et au lieu qu'il a choisi, il faut redéfinir les échanges, qu'ils soient par correspondance électronique ou par forum, entre professeurs-médiateurs, chercheurs et étudiants. Les dirigeants des Universités traditionnelles en sont conscients comme le montrent les travaux de la Conférence des recteurs européens ou le projet suisse d'une université virtuelle. Une réalisation est en œuvre à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

De nombreux défis sont à relever, qu'il s'agisse de l'utilisation des technologies nouvelles d'information et de communication, de la propriété intellectuelle des contenus et de la formation à une utilisation maitrisée de ces outils nouveaux.

L'Internet n'est pas un marché à dominer, mais bien un espoir pour une nouvelle avancée de civilisation au bénéfice de tous. Sa régulation doit être assurée. C'est un enjeu pour l'Unesco. La Francophonie doit y être bien présente en se mettant à l'heure des nouvelles technologies éducatives.

Quel est l'outil?

C'est en 1987 que le président Mitterrand, aidé par Jacques Attali, prit l'initiative de réunir à Versailles le premier sommet des chefs d'Etats et de gouvernements ayant en partage le français. Le pari était risqué. Il a été gagné: la Francophonie réunit aujourd'hui une cinquantaine de pays. Un sommet est organisé tous les deux ans. La Belgique y participe régulièrement; elle est représentée par son Premier ministre ainsi que par le ou les ministres compétents.

L'organe des sommets pour l'enseignement et la recherche est l'Agence Universitaire de la Francophonie (A.U.F.), ancienne AUPELF/UREF. Les pays participants aux sommets francophones représentent un marché d'environ 500 millions de personnes. La majorité des pays de la Francophonie ont des économies à faible produit intérieur brut (P.I.B.). A titre indicatif, 80% du P.I.B. de la Francophonie sont détenus par cinq pays. De nombreux pays sont sous ajustement structurel du F.M.I. (Fonds monétaire international) et ne peuvent plus embaucher d'enseignants du supérieur. Quel est le nombre de francophones réels, opératifs dans la Francophonie? On peut tabler sur le double de la population de la France, l'évaluation étant très difficile tant en Afrique qu'au Sud-Est asiatique.

Les réactions de l'A.U.F. sont multiples. Elles sont signalées dans la programmation de chaque biennium, le dernier étant 1998-1999. Parmi elles, choisissons-en une.

L'Université virtuelle francophone

Depuis sa création en 1987, l'UREF, l'Université des réseaux d'expression française, s'appuie sur la logique des réseaux pour développer des actions. Des réseaux de personnes aux réseaux des établissements, des réseaux de chercheurs aux réseaux d'enseignants et de boursiers, l'A.U.F. a mis en communication de nombreuses communautés à travers les réseaux.

De l'UREF, Université sans murs, à l'Université virtuelle francophone, l'évolution est naturelle. Le concept reste le même, mais cette université utilise principalement les inforoutes et les réseaux numériques.

L'étape initiale a été la création des Centres SYFED-REFER (C.S.R.). Le premier a été installé à Dakar en 1991. Ils se sont multipliés et forment aujourd'hui un réseau maillé de centres locaux d'intermédiation ancrés dans près de trente pays. Chaque centre est implanté dans une institution membre de l'A.U.F. Il a pour vocation de répondre aux besoins de la communauté scientifique en matière d'information et de documentation scientifique et technique. Il assure aussi toute formation nécessaire à l'appropriation par les utilisateurs des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Les centres SYFED-REFER comportent cinq-cents points d'accès. Les actions menées sont en adaptation constante.

Deuxième étape : l'Université audiovisuelle francophone UNISAT. Elle intervient dans deux domaines :

UNISAT est partie intégrante de l'Université virtuelle francophone en cours de développement. Elle utilise les moyens et les possibilités qu'offrent les nouvelles technologies d'information et de communication, en appui aux formations existantes et au déploiement de formations nouvelles. Elle comporte une bibliothèque virtuelle.

Les Centres SYFED-REFER seront utilisés pour la mise en place des campus régionaux de l'Université virtuelle. Le premier a été inauguré à Yaoundé (Cameroun) le 16 janvier 1999. Il est constitué d'une salle d'auto-formation comprenant 18 postes de travail en réseau, reliés à l'Internet par une liaison spécialisée et d'un centre de ressources où les étudiants et chercheurs trouvent les outils et l'appui nécessaires à la réalisation de produits pédagogiques pour l'enseignement sur l'Internet.

L'Université virtuelle francophone sera comparée aux autres réalisations en cours (en et hors francophonie) pour en tirer des leçons.

C'est un chantier urgent à l'aube de l'an 2000, car tous les peuples doivent pouvoir se servir de l'Internet pour éviter le danger d'un apartheid technologique sur lequel le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) insiste. Il s'agit de ne pas être parmi les analphabètes de l'Internet, d'éviter un nouveau clivage entre instruits et autres, entre les hommes et les femmes, entre les riches et les pauvres, entre les jeunes et les vieux, entre les zones urbaines et les zones rurales.

Avant dix ans, l'agriculture sera à l'âge de l'informatique. Satellites et ordinateurs vont révolutionner les fermes. L'agriculteur devra s'y adapter. Et ceci n'est qu'un exemple.

Conclusion

La francophonie est roulée par les vagues de la mondialisation. A elle d'y naviguer, de se maintenir à flot malgré les tempêtes. La mer est la figure même de l'ouvert.

L'enjeu est le maintien du français comme langue qui compte, à côté du tête-à-tête de l'anglo-américain et du chinois qui se prépare avant le milieu du siècle prochain.

Que faut-il pour cela?

Quelques objectifs:

Un programme simple et complexe.

Le cas africain mérite toute notre attention : il reste important et préoccupant pour la francophonie. L'Afrique représente aujourd'hui 13 % de la population mondiale (771 millions d'individus sur six milliards). En 2025, elle comprendra un milliard trois-cents millions d'habitants; elle a et conservera le taux de natalité et le taux de fécondité les plus élevés, presque le double des indices mondiaux, aujourd'hui comme en 2025.

 

André L. JAUMOTTE
Membre de l'Académie royale de Belgique

Article paru dans la Revue générale de novembre 1999, numéro consacré à la langue française et à la francophonie.
La Revue générale applique les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées par l'Académie française.


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