Qui, mieux que Jacques Brel, monument de la chanson française, peut illustrer la Belgique et plus particulièrement la Flandre?

Jacques Brel est né à Schaerbeek, le 8 avril 1928, de parents flamands.
Il abandonne à 18 ans des études qui ne l'intéressent guère pour entrer dans l'entreprise familiale. En 1950, il épouse Thérèse Michielsen, dite "Miche" dont il aura 3 filles.
Il ne trouve pas non plus sa place dans le monde commercial et après quelques années, il préfère se consacrer à la chanson et aux spectacles. Les débuts sont difficiles, il monte à Paris où il fait partie de l'équipe de Jacques Canetti aux "Trois Baudets".
La popularité arrive enfin en 1957, avec "Quand on n'a que l'amour". A partir de 1958, les spectacles s'enchaînent à un rythme effréné (près de 300 par an). Cette vie trépidante ne durera qu'une dizaine d'années. Epuisé par la scène, il fait ses adieux au public, en 1967, lors d'un dernier concert à l'Olympia.
Brel ne s'est pas contenté de chanter, il a aussi connu une carrière cinématographique comme acteur. On le retrouve dans "Mon Oncle Benjamin" et dans "L'Emmerdeur". En 1968, il crée un comédie musicale: "L'homme de la Mancha".
A partir de 1974, il parcourt les mers. Il s'installe ensuite définitivement aux îles Marquises.
Des rumeurs de maladie circulent. Il sort son dernier album en 1977.
Le 9 octobre 1978, il s'éteint dans un hôpital parisien, des suites d'un cancer des poumons.

Le vingtième anniversaire de sa mort est l'occasion rêvée pour épingler quelques articles et interviews parus dans la presse.

Brel et les femmes 

• Vous pensez qu'il n'aimait pas les femmes? Coeur brûlé, il se faisait surtout une immense idée de l'amour, comme une montagne. Jusqu'au vertige et à la peur. (Eric de Bellefroid, La Libre Culture n°160, vendredi 09/10/98)
  
  
• Je ne suis pas du tout d'accord avec sa prétendue misogynie. C'était un homme inadapté au couple. Il n'avait rien contre les femmes, mais bien contre le conjoint, contre le lien. ... Qualifier Brel de misogyne, c'est réducteur d'autant plus qu'il a eu de très fortes amitiés féminines: Juliette Gréco, Suzy Lebrun, Barbara, ... (Olivier Todd, propos recueillis par Philippe Ledent, Le Matin, vendredi 09/10/98)
  
  
• C'était un individualiste. il avait une vision terriblement macho du couple. L'homme, c'était l'aventure; la femme, c'est celle qui lui coupe les ailes dans sa quête d'absolu. Et pourtant, il était animé d'une terrible tendresse. ce n'est pas par hasard s'il chantait mieux les ruptures que les amours. (Jacques Zwick propos recueillis par J.F.D., La Libre Belgique, vendredi 09/10/98)
  
  
• C'est un travail, les femmes, c'est un travail. ... Je crois que j'aime trop l'amour pour beaucoup aimer les femmes. ... Les femmes sont toujours en-dessous de l'amour dont on rêve, et comme je suis assez romantique, ou sentimental, je ne m'en cache pas du tout, la femme est un peu à côté de l'amour, à côté du rêve que j'ai. Mais j'ai pas bien compris les femmes, j'ai pas bien compris et puis, c'est trop tard. (Jacques Brel, propos recueillis par Henri Lemaire en 1971 et publiés sur le site Internet du Soir)

Brel et la Belgique

• Il aimait son pays, et ce plat pays était le sien. S'il l'avait quitté, c'était pour ne jamais l'oublier. Toujours à quai, il lui était viscéralement attaché. (Eric de Bellefroid, La Libre Belgique, vendredi 09/10/98)
  
  
• Jacques Brel a toujours eu des sentiments contrastés vis-à-vis de la Belgique, ce plat pays de son coeur. ... Mais s'il se veut provocateur à l'égard de la religion, de la monarchie ou de la bourgeoisie, Jacques Brel n'en reste pas moins une émanation de cet état tampon artificiel calfeutré au bord de la France par laquelle il se sentira toujours attiré. (Olivier Mouton, La Libre Culture n°160, vendredi 09/10/98)
  
  
• D'abord, je suis flamand. ... Ma famille est originaire de Zandvoorden et de race flamande. ... Quand je dis: je suis flamand de pensée, je ne peux évidemment pas prouver que c'est vrai. Cela dit un type qui passe pendant vingt ans beaucoup de temps à parler du plat pays ou des flamands... je ne parlais tout de même pas des Alpes. ...
  Donc, je crois qu'on a le droit d'être flamand et de s'exprimer en français. Je crois d'ailleurs savoir qu'un certain nombre de flamands ont fait la même chose autrefois. Verhaeren était tout à fait flamand. ... Je crois qu'on a le droit de choisir son mode d'expression. ...
  J'aime les Belges moi, d'abord, je suis belge. Je suis belge et depuis vingt ans que j'écris des choses qui sont absolument pas congestionnantes d'intérêt mais qui existent; depuis vingt ans, je parle, en tous cas si pas de la Belgique, je parle des Belges ou de la Flandre, j'en parle. Et il y a un certain nombre de gens, de Belges, des Bruxellois, on ne va pas parler du vaste problème, qui, eux, n'ont pas du tout envie d'être des belges et qui finalement, quand j'écris un truc belge, disent : "vous avez fini de vous foutre de notre gueule?" Je ne me fous pas de leur gueule mais je leur parle de ce pays-là alors qu'eux, ils regrettent de ne pas avoir été élevés à Oxford très souvent. (Jacques Brel, propos recueillis par Henri Lemaire en 1971 et publiés sur le site Internet du Soir)

Ce qu'ils en pensent ...

• Juliette Gréco
  
  Il était maigre et ardent, comme un loup, avec des yeux comme du charbon de bois. Il avait une guitare au bout de bras très longs. J'étais éblouie, émerveillée. Il existait sur scène comme personne. Un silence compact régnait dans la salle. Il arrivait et la vie commençait. Il était transfiguré par le tour de chant. (propos recueillis par Bernard Meeus, Le Soir Illustré, mercredi 7/10/98).
  
  
• Marcel Azzola: accordéoniste qui a accompagné Brel
  
  J'ai peu rencontré de personnages semblables. C'est ce que j'appelle l'homme total, qui a envie de tout faire, et qui réussit à en faire déjà pas mal. Déjà à ses débuts, il y avait tout dans Brel et quand, je revois ses premières scènes, il y avait de quoi être complètement séduit. C'est incroyable pour quelqu'un qui n'est ni Caruso ou Pavarotti. (propos recueillis par Dominique Simonet, La Libre Culture n°160, vendredi 09/10/98).
  
  
• Jack Lang: ancien ministre français de la Culture
  
  Pour moi il était belge par l'évocation des lieux géographiques, bien sûr. Peut-être aussi par le biais d'une certaine forme de dérision à l'égard de lui-même, qui n'est pas très française. Mais il avait aussi pris ses distances vis-à-vis de la Belgique bourgeoise. En réalité, il avait trouvé une forme d'expression si personnelle qu'elle accédait à l'universel. Ses textes l'ont placé au rang des poètes qu'on lit aujourd'hui dans les écoles françaises. (propos recueillis par L.Dh, correspondant à Paris, La Libre Belgique, vendredi 09/10/98)
  
  
• Jacques Franck: journaliste
  
  Je croyais ne plus aimer le chanteur du plat pays... mais j'ai relu le texte de ses chansons, j'ai tenté de retrouver le temps où il n'était pas une icône belge et j'ai redécouvert un homme écartelé entre le rêve et l'enfer, en qui chacun peut retrouver quelque chose de soi. (La Libre Culture n°160, vendredi 09/10/98)
  
  
• Stéfan Liberski: un des Snuls de Canal+
  
  Eh bien non, je ne suis pas fou des chansons de Jacques Brel! Pourquoi m'agacent-elles instantanément? Je ne sais pas trop. Peut-être parce qu'elles veulent trop émouvoir. Rien de moins séduisant que quelqu'un qui vous hurle à l'oreille: écoutez comme je suis poétique! ... Ses textes sont pour la plupart des enfilades de clichés sur des thèmes banalisés "écorché vif" et vociférés avec un pathos agréé "forcément trrrès beau". Mais il faut reconnaître qu'il y allait à fond. Difficile de lui échapper. Il avait quelque chose de fatal, Brel. Et en même temps de totalement opaque, de totalement construit. Un personnage, quoi. (propos recueillis par C. Prouvost, Le Soir, samedi 3 et dimanche 4/10/1998).
  
  
• Marc Robine: auteur d'une biographie de Brel
  
  Il existe de mauvaises chansons de Brel et je le pense depuis toujours. Tous les grands en ont écrites, à l'exception d'un seul: Brassens. Dans la vie, Brel pouvait se montrer très cassant, avec un petit côté étudiant en goguette qui, après quelques verres, pouvait ne plus se retenir et dire des conneries. Il a blessé plus d'un ami qu'il affectionnait par ailleurs. Il n'avait pas d'ouverture d'esprit non plus au sujet des homosexuels. ... Je trouve insupportable qu'on ne puisse pas admettre les critiques concernant Brel. Sa chanson "La statue" est pourtant claire. Sans liberté de blâmer, il n'y a point d'éloge flatteur. ... Ça ne m'empêche pas de porter un amour de Brel depuis toujours. Le chanteur, mais aussi le compagnon philosophique. On a grandi avec lui et il continue de vivre avec nous... (propos recueillis par T. Coljon, Le Soir, samedi 3 et dimanche 4/10/1998).
  
  
• Dominique Simonet: journaliste
  
  Vingt ans après, "six pieds sous terre Jacques, tu espères encore, six pieds sous terre, tu n'es pas mort." Non, écouter Jacques Brel aujourd'hui n'est pas plus facile qu'hier. De sa diction expressive et avec une manière de prononcer les "r" proche du roulement, il continue de mettre le doigt là où ça fait mal dans notre carcasse d'homme, il continue à indiquer le seul chemin susceptible de nous arracher à la pesanteur : il rêve. (La Libre Culture n°160, vendredi 09/10/98)

Brel vous passionne, consultez un des ouvrages récents qui lui sont consacrés:

Robert Laffont vient de rééditer "L'Oeuvre Intégrale" ainsi que "Jacques Brel, une vie" par Olivier Todd, déjà publié en 1984.
Marc Robine vient aussi de sortir une biographie: "Grand Jacques. Le roman de Jacques Brel" (Anne Carrière-Chorus). De plus, Marc Robine est également à la base d'un numéro spécial (n°25) de la revue "Chorus" consacré à Jacques Brel (Editions du Verbe).
Le 16 octobre est paru dans une version remaniée "Jacques Brel l'exil du Far West" par Pol Vandromme (Table Ronde); cette année aussi est sorti, aux éditions de l'Harmattan: "L'Univers poétique de Jacques Brel" de B. Hongre et P. Lidsky.

Enfin, signalons que la "Fondation Brel" (11-12 place de la Vieille Halle aux Blés, 1000 Bruxelles, tél: 02/511.10.20) organise des expositions permanentes et itinérantes et met de nombreux documents à la disposition du public.

Anne-Françoise Counet